Ne me dis rien, je le sens, à force de parler de légèretés toute la semaine dernière, ton cerveau a ramolli.
Et tu trouves fort démuni, en ce mardi.
Ne t'inquiète pas, j'ai prévu du culturel à te mettre dans le cortex !
Aujourd'hui on va parler des portes de Dublin. Quoi ? Si, c'est culturel, tu vas voir.
Alors soyons honnêtes toi et moi deux minutes, Dublin est-elle une belle ville ?
Non, on ne peut pas franchement dire ça.
Ce qui est beau à Dublin, je vais te le dire, c'est caché. Oui, il faut chercher, ouvrir des portes, rentrer dans des maisons géorgiennes pour mesurer la grandeur et la beauté de cette architecture.
Parce que d'extérieur on ne se le cache pas, c'est triste à pleurer.
Pour faire simple, ça se résume à de la brique rouge et des façades simplistes avec fenêtres blanches.
Sauf qu'il y a un détail, le seul détail qui change de bâtiment en bâtiment : c'est la porte, et surtout, sa couleur.

C'est bien connu, à Dublin on te le dira en rigolant, si les portes sont d'une couleur différente, c'est parce qu'il faut bien un moyen de repère à l'homme qui rentre saoul du pub. Quoi de plus logique quand on sait (et qu'on observe) que les irlandais sont champions toute catégorie de descente de bière.
Et bien je vais te dire : tout ca, c'est faux. Ce site [en] t'explique l'histoire de ces portes. Je vais te faire le condensé en français.
Lecteur tu n'es pas sans savoir que l'Irlande a appartenu à l'Angleterre pendant longtemps, trèèèès longtemps. L'Irlandais se chargera de te le rappeler en ouvrant une blessure encore fraîche (la République n'existe que depuis 1921, eh oui !), et il aura raison. Mais remontons dans le temps si tu le veux bien.
Avant 1715, Dublin n'était considérée comme ni plus ni moins qu'une ville provinciale de l'immense empire britannique.
En 1700, les lois pénales anti-catholiques furent abandonnées, et permirent à beaucoup de catholiques de classe moyenne de s'établir dans le commerce. A l'époque, Dublin était dirigée par les membres de la classe aristocratique protestante, descendants des envahisseurs anglais du temps des Normands, d'Elisabeth et de Cromwell. Ces anciens colons commencèrent à réclamer des réformes, de meilleures conditions de vie et des droits pour les catholiques, ainsi qu'une plus grande autonomie du parlement irlandais.
Bien que politiquement les résultats ne durèrent pas, économiquement Dublin devint la plus grande ville de l'empire britannique après Londres. La prospérité aidant, les protestants de Dublin commencèrent à faire construire leurs élégantes maisons géorgiennes en deçà des murs de la ville médiévale.

L'uniformité visuelle extérieure de cette micro-ville géorgienne telle qu'on la constate encore aujourd'hui n'était là que pour masquer les diverses richesses et décorations qui ornaient l'intérieur des bâtiments.
Beaucoup gardent encore aujourd'hui leurs magnifiques plafonds décorés en plâtre, les cheminées fleuries et les escaliers d'origine. Mais savais-tu qu'il fut un temps ou toutes les portes extérieures étaient de la même couleur ? On ne sait pas exactement quelle était cette couleur - sans doute un ton neutre.
Si tu as pris part à une visite guidée de Dublin, on t'aura peut être dit que le célèbre auteur George Moore vivait à côté d'un autre auteur célèbre, Oliver John Gogarty, dans Ely Place. Tous les deux étaient un peu excentriques et on raconte que Moore peignit sa porte en vert de sorte que Gogarty, saoul, ne vienne pas y frapper, pensant que c'était la sienne. Gogarty aurait alors peint sa porte en rouge, de sorte que Moore, saoul, ne vienne pas frapper à sa porte ! Et c'est ce qui aurait lancé la mode. La vérité est beaucoup moins "colorée".
Selon les livres d'histoire, George Moore était généralement sobre, buvant seulement un peu de vin avec le dîner et était outré par l'étalage de l'ivresse dans la rue. Pour en revenir à notre histoire, la réalité est que la maison de George, tout comme celle de ses voisins étaient construites en fonction du modèle géorgien et les façades devaient adhérer à des directives architecturales strictes.
Afin de se dissocier les uns des autres, les anciens résidants de cette partie de Dublin finirent par
- peindre leurs portes de la couleur de leur choix (le rouge étant soit disant plus "résistant au temps"),
- par rajouter des heurtoirs ornementaux,
- d'élégantes croisées en éventail au-dessus de la porte,
- et l'ancêtre du paillasson, le boot scraper, en fer travaillé, près de l'entrée.
Aujourd'hui, la plupart des maisons ont toujours leurs croisées en éventail d'origine, certaines même encore avec les lanternes en verre où on plaçait la lampe.

Il existe aussi quelques exemples d'un dispositif de sécurité simple qui consistait en un ensemble d'éventails de pointes placées dans le mur près des fenêtres pour empêcher les cambrioleurs d'aller plus loin. Pas très convaincant, tu me diras.

À partir des années 50, le "Dublin géorgien" fit l'objet d'attaques concertées du gouvernement irlandais à travers ses politiques de développement.
Des rues entières de maisons du 18ème siècle furent démolies, notamment près de Saint Stephen's Green, et de Fitzwilliam Street, pour faire place à des blocs de bureaux des services gouvernementaux.
Cet élan fut encouragé par l'idéologie nationaliste dominante de l'époque, qui voulait se débarrasser de tous les rappels physiques du passé colonial de l'Irlande.
Par exemple, dans les années 60, plus de 20 maisons furent détruites pour que l'on puisse construire le siège social de l'Electricity Supply Board, équivalent d'EDF. Cependant, grâce à un effort concerté des historiens, architectes et le conseil du tourisme irlandais, le carnage architectural se termina et on peut aujourd'hui admirer le style géorgien.
Pour savoir ce qui se cache exactement dans ces bâtiments qui ne ressemblent pas à grand chose du dehors mais qui sont immenses et magnifiques à l'intérieur, je te conseille de visiter la très intéressante Number 29 (son histoire ici), maison géorgienne reconstituée, ou juste de sonner chez Brightwater à Merrion Square, agence de recrutement dont le hall d'entrée est tout simplement splendide. Tu ne devrais pas avoir trop de problèmes pour entrer, sois honnête et dis que tu rentres juste pour regarder deux minutes, on ne devrait pas t'embêter.
C'est une fort belle histoire que je te raconte là, dis. Tu as aimé ?
Very interesting my dear !
RépondreSupprimerje croyais que c'était pour reconnaître les maisons à travers le smog toutes ces couleurs moi ^^
RépondreSupprimerHahaha ;-) C'est pas si pollué que ca Dublin quand meme ;-)) Avec le vent qu'il y a, on y respire meme tres bien l'air iodé je dirais ;-)
RépondreSupprimernon non je ne dis pas que c'est pollué, mais faut avouer qu'il y a une vingtaine d'années, Dublin était beaucoup plus dans le brouillard
RépondreSupprimerJe viens bientôt à Dublin, merci pour ces infos.
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